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Erreurs diagnostiques aux urgences : des manquements encore trop fréquents, aux conséquences parfois irréversibles

Erreurs diagnostiques aux urgences : des manquements encore trop fréquents, aux conséquences parfois irréversibles

Estimation du temps de lecture : 8min

 

Diagnostic manqué, urgence aggravée : la dernière publication de la Haute Autorité de Santé (HAS) dresse un tableau préoccupant des erreurs diagnostiques dans les services d’urgences. Ces erreurs, parfois fatales, soulignent l’importance d’une vigilance constante et d’une amélioration continue des pratiques.

 

Le dernier numéro de la collection Flash Sécurité Patient, mis en ligne le 8 avril 2025 par la HAS, s’intéresse à un sujet critique : les erreurs de diagnostic dans les services d’urgences. Intitulé « Erreurs diagnostiques dans les services des urgences : diagnostic manqué, urgence aggravée », ce document alerte les professionnels de santé sur la fréquence et la gravité de ces erreurs, souvent multifactorielles, et met en lumière des pistes concrètes pour mieux les prévenir.

« Le diagnostic nécessite un ensemble complexe d’étapes pour recueillir, intégrer et interpréter les informations, et chacune est sujette aux erreurs », prévient la HAS en ouverture du document. Ces erreurs sont multifactorielles, mêlant causes systémiques (organisation, ressources) et cognitives (biais de raisonnement, surcharge mentale).

Dans ce contexte, la HAS identifie six axes d’amélioration prioritaires pour prévenir ces événements évitables :

  1. Sensibiliser les professionnels au risque d’erreurs diagnostiques.
  2. Mieux former, de façon initiale et continue, notamment à la médecine d’urgence, aux examens diagnostiques et au raisonnement clinique.
  3. Améliorer le travail en équipe, en renforçant la supervision des jeunes praticiens et la coopération entre services.
  4. Limiter les biais cognitifs, par des formations, de la simulation et des outils de raisonnement protocolisés.
  5. Améliorer les processus diagnostiques et les conditions de travail, grâce aux systèmes d’information et à des effectifs suffisants.

Engager les patients et leurs proches, en les informant mieux et en recueillant activement leurs observations.

 

Le diagnostic, un processus vulnérable

Le diagnostic médical repose sur un enchaînement complexe d’étapes :

  1. recueil des données cliniques,
  2. examens complémentaires,
  3. interprétation des résultats,
  4. et communication de la conclusion au patient.

Chacune de ces étapes est sujette à des erreurs, qu’elles soient d’origine cognitive (biais de raisonnement, heuristiques de jugement, interruption de tâches) ou systémique (organisation du service, disponibilité des examens, charge de travail).

Dans le cadre des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) déclarés à la HAS, les erreurs de diagnostic figurent parmi les 5 causes immédiates les plus fréquentes. Mais lorsqu’on isole les EIGS survenus dans les services d’urgences, ces erreurs remontent au deuxième rang. Ce constat s’explique par la spécificité de ces services : afflux permanent de patients non connus, nécessité d’interventions rapides, accès parfois retardé aux ressources spécialisées, et conditions de travail particulièrement intenses.

 

Trois cas emblématiques analysés

Le Flash Sécurité Patient publié par la HAS détaille 3 cas réels illustrant la diversité et la gravité des erreurs de diagnostic aux urgences. Ces exemples, issus de la base de retour d’expérience nationale, sont représentatifs de situations où un enchaînement de dysfonctionnements a mené à des conséquences sévères, voire mortelles.

Dans le 1er cas, un AVC (accident vasculaire cérébral) chez un octogénaire a été confondu avec une infection urinaire. Le patient est renvoyé à domicile sans traitement adapté, et décède quelques jours plus tard. L’analyse révèle plusieurs défaillances : tri erroné, absence de relecture du compte rendu par un médecin senior, mauvaise lecture du scanner, absence de sollicitation du neurologue et surcharge de travail en imagerie.

Le 2ème cas concerne une embolie pulmonaire non détectée chez une patiente septuagénaire. Diagnostiquée à tort comme une pneumopathie, elle décède quelques heures plus tard. Des biais cognitifs, une méconnaissance de ses antécédents et l’absence de recours à l’imagerie cardiaque faute de moyens sont identifiés.

Enfin, le 3ème cas relate le diagnostic tardif d’une méningite chez une jeune femme. Malgré des signes évocateurs, la patiente est renvoyée chez elle, avant d’être hospitalisée en soins critiques deux jours plus tard. L’alerte transmise par le laboratoire n’est pas remontée au médecin senior, et aucun système d’alerte visuelle n’était en place dans le logiciel de gestion des résultats biologiques.

Quelles sont les causes des erreurs de diagnostics aux urgences

Ces trois cas mettent en évidence la multiplicité des facteurs à l’origine des erreurs diagnostiques. On y retrouve des éléments déjà documentés dans les précédents bilans de la HAS sur les EIGS, notamment celui de 2023 que nous avons analysé récemment sur ce blog.

Parmi les causes systémiques, les défaillances de coordination, la surcharge de travail, le manque de supervision des internes, la mauvaise transmission des résultats ou l’indisponibilité des examens d’imagerie jouent un rôle prépondérant. À cela s’ajoutent les biais cognitifs : arrêt prématuré du raisonnement, excès de confiance, focalisation sur un diagnostic initial sans remise en question.

La HAS rappelle dans ce contexte les travaux menés sur « l’effet tunnel » en santé – cette tendance à maintenir une hypothèse clinique même face à des signaux contradictoires – et les outils de simulation en santé pour lutter contre ce phénomène.

 

Une vulnérabilité accrue en contexte d’urgence

Les services d’urgences sont particulièrement exposés à ces erreurs, du fait de la nature même de leur activité. Les patients ne sont pas connus, les dossiers médicaux parfois incomplets, et les délais d’accès aux examens ou aux avis spécialisés peuvent compromettre la prise en charge. Ces difficultés sont exacerbées dans les contextes de forte affluence, comme l’illustre notre article sur le « No Bed Challenge », où la saturation des services accentue le risque d’erreurs ou d’omissions.

De plus, les données du rapport annuel 2023 sur les EIGS confirment que près de 58 % des incidents concernent des patients de plus de 60 ans, souvent polypathologiques et donc plus exposés à des erreurs de prise en charge. Dans près de la moitié des cas recensés en 2023, les EIGS ont conduit au décès du patient.

 

Renforcer la culture de la sécurité

Face à ces constats, la HAS propose plusieurs leviers pour prévenir les erreurs de diagnostic dans les services d’urgences. Ces recommandations font écho aux grands axes de travail identifiés dans les bilans annuels des EIGS, et visent à renforcer la culture de sécurité des soins.

La première mesure consiste à sensibiliser les professionnels de santé à la possibilité d’erreurs diagnostiques, en favorisant le retour d’expérience, les formations sur les biais cognitifs, et les échanges autour d’événements indésirables analysés collectivement.

La formation, initiale et continue, est un levier central. Elle doit porter à la fois sur les compétences cliniques spécifiques à la médecine d’urgence, sur la capacité à interpréter les examens complémentaires, et sur les techniques de raisonnement clinique.

Le travail en équipe doit être renforcé : supervision des internes, disponibilité de médecins séniors, protocolisation des situations nécessitant un avis spécialisé, et amélioration de la communication avec les services d’imagerie et de biologie sont autant de pistes identifiées.

La HAS insiste également sur la nécessité de limiter les biais cognitifs, via des formations ciblées, des autopsies cognitives ou encore des outils comme les arbres décisionnels et les check-lists.

Les outils numériques peuvent aussi soutenir la démarche diagnostique, à condition qu’ils soient bien paramétrés : alertes sur les signes vitaux anormaux, suivi des résultats d’examens critiques, intégration de systèmes d’aide à la décision.

Enfin, les patients et leurs proches doivent être associés activement au processus de diagnostic : en recueillant leurs observations, en vérifiant les antécédents, et en leur remettant des consignes claires sur les signes d’alerte à surveiller.

 

Une dynamique à renforcer

Ces recommandations s’inscrivent dans la dynamique globale impulsée par la HAS depuis la création en 2016 du dispositif de déclaration des EIGS. Comme nous l’évoquions dans notre précédent article, le bilan 2023 marque une progression importante en matière de signalement (+71 % de déclarations par rapport à 2022), mais souligne aussi les limites actuelles : près de 44 % des EIGS n’ont pas fait l’objet d’une analyse approfondie des causes, et les actions correctrices restent parfois insuffisantes.

L’exemple des erreurs de diagnostic aux urgences montre à quel point le retour d’expérience, lorsqu’il est correctement structuré, peut contribuer à prévenir de nouveaux incidents. Il met aussi en lumière la nécessité d’un soutien institutionnel fort pour garantir des conditions de travail compatibles avec une prise en charge de qualité.

 

Une meilleure mobilisation des ressources

En complément des recommandations de la HAS, certains leviers relèvent de l’organisation plus globale des soins. La question des effectifs médicaux, du nombre de lits disponibles, de la disponibilité des plateaux techniques ou encore de la place des outils numériques dans les processus de tri et de décision doit être posée.

Le lien avec les actions de recensement des morts inattendues en service d’urgence, mises en place depuis décembre 2022, est évident. Ces décès, souvent évitables, sont le symptôme de défaillances multiples. Leur suivi, comme celui des EIGS, constitue un indicateur essentiel pour orienter les priorités en matière de sécurité des soins.

 

Les erreurs de diagnostic dans les services d’urgences sont le reflet d’un système sous tension, où les décisions doivent être prises rapidement dans un contexte de forte incertitude. Si la complexité des situations cliniques rend impossible le risque zéro, les enseignements tirés des retours d’expérience permettent de mieux comprendre les enchaînements menant à l’erreur.

Le Flash Sécurité Patient d’avril 2025 rappelle que chaque maillon de la chaîne diagnostique mérite d’être sécurisé. Il invite à une mobilisation collective pour renforcer les compétences, améliorer les processus, et associer davantage les patients. Une exigence d’autant plus forte que l’enjeu n’est rien moins que la vie des patients.

 

 

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