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Docteurs juniors ambulatoires : un cadre de rémunération enfin fixé, entre ambition d’accès aux soins et vives réserves des internes

Docteurs juniors ambulatoires : un cadre de rémunération enfin fixé, entre ambition d’accès aux soins et vives réserves des internes

Estimation du temps de lecture : 8 min

À la suite de la parution, au Journal officiel du 28 août 2025, d’un décret et de deux arrêtés encadrant la rémunération des docteurs juniors ambulatoires (DJA) de quatrième année du DES de médecine générale et celle de leurs maîtres de stage universitaires (MSU), le dispositif franchit une étape décisive. Le gouvernement y voit une décision structurante au service de l’égalité d’accès aux soins ; les syndicats d’internes dénoncent un cadrage jugé précipité et « anti-pédagogique ». Entre ces deux lectures, l’enquête de juillet 2025 de l’ISNAR-IMG permet de mesurer l’acceptabilité de la réforme et les conditions de son appropriation par les futurs praticiens.

 

D’où vient la réforme ? Rappels historiques et trajectoire réglementaire

L’extension du DES de médecine générale à quatre ans avec création d’une phase de consolidation en milieu ambulatoire libéral s’inscrit dans une trajectoire ouverte par l’article 37 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023. Le décret publié fin août 2025 s’y réfère explicitement : il précise que les nouvelles mesures de rémunération sont prises « pour l’application de l’article 37 de la loi n° 2022-1616 […] pour 2023 » et qu’elles entreront en vigueur avec la première promotion qui démarrera sa quatrième année en novembre 2026. Cette entrée en vigueur différée vise à laisser le temps d’organiser les terrains de stage et l’encadrement pédagogique dans les cabinets de ville et les structures ambulatoires.

Deux missions d’experts ont accompagné cette trajectoire (2023 puis début 2025). Elles ont notamment plaidé pour un modèle de professionnalisation progressive, une place centrale de l’ambulatoire en fin de cursus, et un schéma de rémunération conçu pour soutenir la pédagogie plutôt que la productivité. Selon la synthèse que nous avons déjà publiée, ces rapports privilégiaient une logique de salariat avec part variable par rétrocession, mieux alignée sur l’apprentissage et l’autonomie supervisée ; ils insistaient aussi sur la nécessité de sécuriser la permanence des soins ambulatoires (PDSA) et de finaliser le cadrage des thèses.

 

Ce que disent précisément les textes du 27 août 2025

Le décret n° 2025-850 modifie l’article D. 6153-1-8 du code de la santé publique. Deux alinéas nouveaux structurent le futur régime indemnitaire des DJA accomplissant un stage ambulatoire : d’une part une prime forfaitaire conditionnée à l’activité, versée semestriellement et dont le montant et les modalités sont renvoyés à un arrêté ; d’autre part une indemnité forfaitaire mensuelle pour les docteurs juniors dont le lieu de stage est situé en zone d’intervention prioritaire (ZIP), non cumulable avec certaines autres indemnités prévues au même article. Le décret fixe également l’entrée en vigueur au 1er novembre 2026.

Le premier arrêté vient lever les incertitudes sur la prime d’activité des DJA : l’ouverture du droit est conditionnée à la réalisation de 200 actes ou consultations par mois en moyenne sur le semestre, pour un montant de 500 € bruts par semestre. Lorsque le stage est effectué en ZIP, le montant de l’indemnité forfaitaire est fixé à 1 000 € bruts par mois de stage. Ces précisions s’inscrivent dans le cadre posé par le nouvel alinéa 10° et 11° de l’article D. 6153-1-8.

Le second arrêté fixe la rémunération des praticiens agréés-maîtres de stage des universités accueillant un DJA. Elle comprend 600 € bruts par mois et par étudiant au titre d’honoraires pédagogiques (versés une seule fois si l’étudiant est accueilli chez plusieurs MSU, au prorata du temps de formation), 1 200 € bruts par mois et par étudiant au titre d’indemnité de compensation des charges liées à l’encadrement, et des primes conditionnelles : 800 € bruts par mois et par étudiant si l’exercice a lieu en ZIP, en zone d’action complémentaire (ZAC) ou en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ; 400 € bruts par mois et par étudiant lorsque le praticien participe à la supervision du DJA dans le cadre de la PDSA.

Pris ensemble, ces trois textes répondent à un double objectif : rémunérer les DJA selon un critère d’activité moyenne et renforcer l’incitation des MSU à accueillir des internes en phase de consolidation, avec un ciblage territorial marqué vers les zones sous-dotées. Ils laissent toutefois hors de leur périmètre d’autres sujets structurants du curriculum (soutenance de thèse, quotas de PDSA, maquette détaillée de stage), qui relèvent d’autres instruments réglementaires ou d’un pilotage académique.

 

L’argumentaire gouvernemental : accès aux soins, professionnalisation, attractivité

Dans sa communication publique, le ministre chargé de la Santé met en avant une réforme « attendue depuis des années », explicitement inscrite dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux. Il souligne quatre promesses : l’arrivée, dès novembre 2026, de 3 700 docteurs juniors déployés d’abord dans les territoires où l’accès aux soins est le plus difficile ; une formation professionnalisante, encadrée et reconnue pour la quatrième année ; un soutien renforcé aux maîtres de stage, considérés comme pivots de la qualité pédagogique ; et, plus largement, le renforcement de l’attractivité de la médecine générale comme spécialité. Le ministre insiste sur la méthode, évoquant une construction « collective », associant étudiants, enseignants, syndicats, ordres, ARS et élus locaux.

Cette rhétorique met l’accent sur les finalités : combler des besoins de santé publique, sécuriser la transition entre l’internat et l’installation, et valoriser un maillon cardinal de l’offre de soins. Elle assume aussi un pari territorial : en orientant la composante indemnitaire vers les ZIP et en dotant substantiellement les MSU, le gouvernement cherche à accroître la capacité d’accueil et à flécher l’effort vers les zones prioritaires. C’est à l’épreuve des déploiements universitaires, des calibrages ARS et des calendriers d’agrément des terrains que se mesurera la réalité de cette promesse.

 

La critique syndicale : calendrier, pédagogie et équité

Du côté de l’ISNAR-IMG, la réaction est tranchée. L’organisation juge que la rémunération arrêtée pour les DJA est « anti-pédagogique, inégalitaire et salariale ». Elle estime que les conditions d’accueil restent « brouillonnes », que les MSU nécessaires sont « absents » à ce stade, que le passage des thèses n’est pas cadré, et que la PDSA n’est qu’à peine esquissée. Le syndicat met aussi en cause le calendrier politique, pointant la publication des textes à la veille d’échéances parlementaires, et appelle au report.

Au-delà des formules, la critique physique trois lignes de fracture : un désaccord de fond sur le modèle de rémunération des DJA (prime à l’activité versus rétrocession), un risque d’hétérogénéité territoriale dans l’activation des terrains de stage et la disponibilité des MSU, et un déficit de cadrage pédagogique sur plusieurs maillons du dispositif (supervision, thèse, PDSA). Ces points rejoignent, pour partie, les alertes formulées par les missions d’experts et documentées par l’enquête de juillet.

 

Ce que révèle l’enquête ISNAR-IMG de juillet 2025 : acceptabilité, conditions et lignes rouges

Conduite en juillet 2025 et diffusée nationalement, l’enquête de l’ISNAR-IMG a recueilli 1 353 réponses d’internes répartis sur 28 subdivisions. Au-delà d’un niveau de participation nettement supérieur au seuil statistique minimal évoqué par les auteurs, elle offre une photographie nette des attentes et des inquiétudes vis-à-vis de la quatrième année.

Sur la rémunération, le résultat est sans ambiguïté : près de 9 internes sur 10 (89,4 %) rejettent le principe d’une prime à l’activité et déclarent préférer un modèle fondé sur la rétrocession, perçu comme plus compatible avec une progression pédagogique et une autonomie sous supervision. Les répondants expriment à la fois une crainte d’un apprentissage biaisé par une logique de volume et une demande de clarté sur les règles de facturation et de supervision.

Sur le lieu et le sens de la formation, la préférence pour l’ambulatoire est réaffirmée : la majorité déclare viser un exercice libéral (exclusif ou mixte) et 73,1 % se disent opposés à l’imposition d’un stage hospitalier en quatrième année, tous projets professionnels confondus. Cette position renvoie à une perception persistante de déclassement de la médecine générale au sein du système de formation lorsque la maquette recentre la phase de consolidation vers l’hôpital.

Sur la permanence des soins ambulatoires (PDSA), l’enquête bouscule des idées reçues : 86,5 % des internes participent déjà ou souhaitent participer à la PDSA, à condition que le cadrage soit explicite et protecteur : rémunération à l’acte, respect du temps de travail et supervision effective figurent en tête des exigences. Au-delà des chiffres, l’analyse qualitative insiste sur la santé mentale, la charge ressentie à l’hôpital et le besoin de reconnaissance de la médecine générale comme discipline de premier recours.

Positionnée en amont des textes du 27 août, cette enquête éclaire la réception probable du nouveau cadre : elle explicite les conditions minimales d’adhésion (pédagogie, supervision, clarté des règles, respect des temps) et identifie les points de friction (prime à l’activité, hospitalo-centrisme, encadrement incomplet de la PDSA).

 

Convergences et écarts : ce que change la parution au JO, et ce qu’elle ne change pas

La publication du décret et des deux arrêtés répond à deux attentes précises : l’existence d’un socle indemnitaires clair pour les DJA en ambulatoire, avec un critère d’activité explicite (200 actes ou consultations par mois en moyenne sur le semestre) et un montant défini (500 € par semestre), ainsi qu’un dispositif de soutien aux MSU quantitativement significatif (600 € d’honoraires pédagogiques et 1 200 € d’indemnité de charges, assortis de primes ciblées). Sur ce volet, le gouvernement comble un angle mort qui nourrissait l’incertitude opérationnelle.

En revanche, l’architecture retenue n’éteint pas le désaccord de fond sur le mode de rémunération : la prime à l’activité se situe à rebours des préférences exprimées par les internes en faveur d’une rétrocession. Sauf inflexions ultérieures, ce choix n’apporte pas la garantie recherchée par les répondants quant à la primauté des objectifs pédagogiques sur les logiques de productivité.

Par ailleurs, les textes publiés ne traitent pas de plusieurs chantiers connexes : conditions de soutenance des thèses pour sécuriser la transition vers la quatrième année, cadrage détaillé de la PDSA (volumes, supervision, articulation avec le temps de travail), calibrage national de la capacité d’accueil et plan de formation des MSU. Sur ces aspects, les rapports d’experts et l’enquête de juillet appelaient à des garanties et à une co-construction renforcée avec la communauté pédagogique et les représentants d’internes.

 

Lecture pratique pour les acteurs de terrain : ce qu’il faut retenir, ce qu’il faut anticiper

Pour les DJA en médecine générale, la règle pivot est désormais quantifiée : l’ouverture du droit à la prime semestrielle suppose un volume moyen de 200 actes ou consultations mensuels sur le semestre ; le montant est forfaitaire (500 €) et indépendant du dépassement du seuil. Pour les stages en ZIP, l’indemnité mensuelle à 1 000 € constitue une incitation forte à l’orientation territoriale. Ces paramètres seront centraux dans l’organisation des agendas, la planification des consultations, et la traçabilité des actes.

Pour les MSU, la combinaison « honoraires pédagogiques + indemnité de charges » fournit un signal économique favorable à l’ouverture de terrains. Les primes conditionnelles en ZIP/ZAC/QPV et pour la supervision PDSA viendront moduler l’effort selon l’implantation et l’investissement. Il conviendra, côté universités et ARS, de sécuriser l’agrément, de cartographier la disponibilité des MSU et de garantir la répartition des étudiants pour éviter des goulets d’étranglement locaux.

Deux points d’attention juridiques ressortent du décret : d’une part, l’indemnité ZIP des DJA est non cumulable avec certaines indemnités déjà prévues par l’article D. 6153-1-8, ce qui impose un contrôle de cumul au niveau des scolarités ; d’autre part, la date d’entrée en vigueur au 1er novembre 2026 impose un calendrier rétro-planifié pour l’agrément des terrains, la formation des MSU et la mise à jour des conventions.

 

Et maintenant ? Les conditions d’une adhésion durable

La séquence ouverte fin août 2025 clarifie l’un des volets les plus sensibles du futur statut de docteur junior ambulatoire. Elle ne referme cependant pas le débat. Le gouvernement parie sur l’effet de levier territorial ; les internes réclament un socle pédagogique plus robuste et une rémunération alignée sur les objectifs d’apprentissage. Entre ces deux lignes, l’enquête de juillet fixe des garde-fous concrets : supervision effective, transparence des règles, respect du temps de travail et statut protecteur pour la PDSA. La co-construction vantée par l’exécutif reste à intensifier pour répondre à ces exigences.

La mise en œuvre au 1er novembre 2026 constitue une fenêtre de travail pour aligner les instruments : veiller à la cohérence entre le régime indemnitaire et la maquette pédagogique, calibrer les capacités d’accueil, former et fidéliser les MSU, outiller la traçabilité des actes sans rigidifier la relation de soin, sécuriser la soutenance des thèses et la PDSA. C’est à cette condition que la quatrième année remplira son objectif : professionnaliser sans déformer, accroître l’accès aux soins sans fragiliser l’apprentissage, attirer sans décourager.

 

Références juridiques citées

Décret n° 2025-850 du 27 août 2025 relatif au régime indemnitaire des docteurs juniors de la spécialité de médecine générale : compléments à l’article D. 6153-1-8 du CSP (prime semestrielle conditionnée à l’activité et indemnité mensuelle en ZIP) ; entrée en vigueur au 1er novembre 2026 ; prise pour l’application de l’article 37 de la LFSS 2023.

Arrêté du 27 août 2025 relatif au régime indemnitaire des docteurs juniors de médecine générale : condition d’ouverture (200 actes/consultations par mois en moyenne sur le semestre), montant de 500 € bruts par semestre ; indemnité ZIP à 1 000 € bruts par mois.

Arrêté du 27 août 2025 relatif à la rémunération des MSU accueillant des docteurs juniors : 600 € d’honoraires pédagogiques, 1 200 € d’indemnité de compensation des charges, primes conditionnelles (800 € en ZIP/ZAC/QPV, 400 € pour la supervision en PDSA).

Référence d’enquête

ISNAR-IMG, enquête nationale juillet 2025 : 1 353 répondants, 28 subdivisions ; préférence nette pour la rétrocession plutôt que la prime à l’activité (89,4 %) ; 73,1 % opposés à un stage hospitalier imposé ; 86,5 % favorables à la PDSA sous conditions (rémunération à l’acte, supervision, respect du temps de travail).

 

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